Entré au Laboratoire de Chimie Minérale Structurale de l’Université Bordeaux 1 en Septembre
1961, Paul Hagenmuller a confié mes premiers balbutiements de recherche à Robert de Pape. Ce
chercheur très agréable, à l’imagination fertile, a lancé de nombreux axes importants dans
le
domaine des fluorures. J’ai de suite pris conscience de la chance qui m’était donnée de
travailler sous sa direction et de pouvoir acquérir les connaissances de cette chimie
délicate
et parfois dangereuse.
Après quelques années, j’ai soutenu ma thèse, bien entendu, sur des fluorures. Mon
second
sujet
de thèse ("La Ferroélectricité") avait été choisi dans le but de développer cette
activité
alors inexistante dans notre laboratoire. Cette voie conduit à des propriétés
prometteuses
des
matériaux correspondants. Je me suis lancé tout d’abord dans la chimie des "Bronzes
Quadratiques de Tungstène", en particulier en raison des très hautes performances de
l’un
de
ses chefs de file, le fameux "Banana" (Ba2NaNb5O15
).
J’ai constaté qu’à l’époque (vers 1970) les spécialistes en ferroélectricité étaient
pratiquement tous des physiciens : s’ouvrait alors pour moi, chimiste, une voie encore
inexplorée. J’ai commencé à envisager de préparer des séries de composés, d’en déterminer
les
propriétés physiques et de relier ces dernières à des distorsions structurales en m’appuyant
sur
des considérations de liaison chimique (j’en profite ici pour remercier Michel Pouchard pour
ses
conseils éclairés en la matière).
En outre, j’ai établi petit à petit des relations avec des Laboratoires de Recherche
Industrielle. Je m’étais imposé des réunions mensuelles informelles à Paris au cours
desquelles
il s’établissait un échange de discussions entre les problèmes que rencontraient les
industriels
(en aval) et les solutions que mes connaissances pouvaient leur apporter (en amont). Il
naissait
des amitiés et des discussions en toute confiance de nos progrès et des collaborations
éventuelles. Il n’était pas rare qu’après un dîner de travail la soirée se termine dans un
club
de jazz pour notre plus grand plaisir. Cette période de 1970 à 1980 a ainsi favorisé mon
intégration dans le milieu des spécialistes de la ferroélectricité.
Et puis… lors de mes indispensables lectures bibliographiques, j’ai été frappé par le rôle
"pilote" de "Bell Laboratories" à Murray Hill (USA) et en particulier par l’un de ses
plus
brillants chercheurs, un cristallographe de grand renom : Sidney C. Abrahams. Je l’ai invité
à
venir dans notre Laboratoire de Talence pendant quelques mois. Il a accepté avec grande joie
et
nous avons tout de suite établi une relation très amicale et mis au point un plan de
recherche
ambitieux à long terme : mettre en commun nos compétences complémentaires pour découvrir de
nouvelles familles ferroélectriques ! Il m’a invité en retour à venir à "Bell Lab" où j’ai
pu
discuter et travailler avec de grands spécialistes des propriétés non linéaires des
matériaux.
À partir de 1980, ces recherches ont été entre autres les plus passionnantes de ma vie de
chercheur. Nous avons tissé, avec Sidney, un réseau de laboratoires (en Allemagne, en Suède
et
bien sûr en France et aux USA) qui nous ont apporté une aide précieuse dans la mesure où ils
disposaient d’appareillages absents tant à Talence qu’à Murray Hill. Ces recherches ont
concerné
principalement des fluorures et des oxyfluorures. Un des résultats les plus spectaculaires
sera
décrit plus loin dans le texte, il s’agit de la composition "exotique"
Pb5Al3F19. Celui qui
m’est le plus cher concerne K3Fe5F15 ; quel
bonheur de
mettre
en évidence des propriétés
ferroélectriques dans ce composé qui avait été découvert en 1965 par… Robert de Pape. Nous
avons
eu le plaisir de recollaborer ensemble plus de 20 ans après mes débuts.
Et puis… j’ai "mordu partiellement à l’hameçon" des recherches appliquées. Pourquoi ? Afin
d’obtenir des contrats en vue de faciliter les recherches de mon groupe : achats d’appareils
spécialisés de précision, de produits chimiques de haute pureté, de métaux précieux
indispensables aux synthèses des matériaux, frais de mission pour des Congrès
Internationaux,…
Et puis… en avançant en âge, je suis devenu "sage". J’ai souvenir, lors d’un Congrès
International à Kobé (Japon), d’une discussion avec Leslie E. Cross (de Pennstate, USA) :
"Les
composés à base de plomb sont certes performants, disait-il, mais leur préparation est très
polluante, il n’y a pratiquement plus de poissons dans l’océan autour du Japon" et Leslie a
ajouté "Jean, vous chimiste, vous devriez préparer de nouveaux composés aussi performants
mais
sans plomb". Je l’ai écouté et les recherches sur les "Relaxeurs sans plomb" ont
constitué la
dernière partie de mes activités scientifiques, dans le cadre du respect de l’environnement.
Pour terminer, je voudrais dire tout le plaisir passionnant que m’a procuré la recherche.
Bien
sûr, il y a eu des difficultés, des problèmes,… mais avec le recul, je mesure la chance que
j’ai
pu avoir dans notre Laboratoire et je pense à tous ceux et celles qui m’ont accompagné le
plus
souvent avec le sourire.
Pour réaliser le texte de l’ensemble qui va suivre, j’ai bénéficié de l’aide d’Annie Simon
(qui
m’a par ailleurs secondé en permanence depuis 1971), de Julie Andriamampianina (ma filleule)
et de
mon petit-fils Paul Breton-Ravez qui a assuré en outre la "mise en ligne" du texte.